C’est quoi voyager ? 60 km autour des volcans d’Auvergne pour y penser
Je vous disais dans l’article précédent, premier de ce blog encore tout frais, que le prochain article vous ferait voyager. Plus précis ? La boucle des dômes en Auvergne, dans la Chaîne des Puys, un site inscrit au patrimoine mondial de L’UNESCO. « Tu glisses vers le blog de voyage ? » Non… Mais je trouve ça cool de partager en prenant le temps. Parce qu’on ne sait jamais où chaque nouvelle expérience va nous emmener, les personnes à qui ça va parler, les nouvelles aventures que ça va générer…
Topo : Une virée de 72h avec mon pote Alexi (à droite sur la photo) pour découvrir les volcans d’Auvergne, 60km de marche, un appareil photo et un stylo. Et après ? Bonne lecture.

Jour 1
Je vous épargne le descriptif d’un trajet d’autoroute Verviers – Auvergne, qui n’a rien de passionnant.
Néanmoins…
La route fait partie du voyage, j’en suis personnellement convaincu. Au cours des sept dernières années, j’ai pris l’avion une seule fois. Je ne le brandis pas comme une fierté. Les déplacements se font en voiture (encore beaucoup trop présente), en train (il n’y en a pas assez et ils sont trop chers), à pied ou à vélo. Cette volonté de continuer à voyager en réduisant toujours plus mon impact environnemental me pousse à accorder une plus grande importance à toutes les dimensions de cette activité de privilégié.
D’abord être conscient de l’immense chance que j’ai. On parle d’une personne sur trente dans le monde qui effectue (au moins) un voyage touristique par an. On parle de 90% de la population mondiale qui n’a jamais pris l’avion, etc. Je ne parle pas de celles et ceux pour qui « frontière » rime avec contrôle, peur, mort, séparation, injustice…Tout, sauf évasion.
Ensuite, tous les voyages n’ont pas les mêmes impacts. Puis partir un weekend à 50 km de chez soi peut à bien des égards se rapprocher plus de l’imaginaire du voyage que de parcourir 6000 km pour siroter une Margarita face à la piscine d’un hôtel. Sans jugement, nous avons tous nos contradictions. Mais « voyager », ça ne veut plus dire grand chose.
Bref, toutes ces considérations me donne envie de rendre chaque kilomètre plus passionnant : apprécier plus, préparer mieux, étudier les cartes, rêver avant le départ…Rendre l’aventure, proche ou moins proche, unique. Fini les city trips de 2 jours Ryanair ? Ce n’était de toute façon pas mon kif. Difficile à ce stade, malgré une vraie volonté de tourner cette page, de dire « plus jamais » à l’avion. J’ai eu la chance de partir loin quelques fois, le monde est beau et vaste. La seule chose dont je suis certain est que cela ne sera jamais la norme ni l’option de facilité. Ça sera rare et donc très précieux. Je veux éprouver la distance pour bien mesurer la chance de partir à chaque fois que cela sera possible.
Alors comment avons-nous éprouvé les 850 km dans la voiture de mon pote Alexi ? Plutôt passivement (je n’ai pas conduit). Plutôt relaxant (c’était mon premier long trajet en électrique et le calme est surprenant). En discutant, d’abord. C’est facile de prendre la route à deux quand les centres d’intérêt convergent. Plus tard, quand les langues s’assèchent et que, sans le dire, on ressent chacun le besoin de se taire, il y a la musique, les podcasts (c’était « Les baladeurs », des Others, pour se chauffer. Je vous les recommande) puis les paysages qui défilent.

La route est dégagée jusqu’à ce qu’un bouchon nous stoppe net. Un peu plus loin, on aperçoit un convoi de gendarmes qui barrent la route à moto, faisant avancer la file grossissante à pas d’homme. Vingt minutes s’écoulent. Des gens sortent de leurs voitures pour voir ce qu’il se passe. On en rigole. Six minutes plus tard, je rejoins le convoi de zombies jusqu’à la tête du cortège. Un agent m’explique que 500 personnes bloquent l’autoroute : « Une entreprise de la région se met en liquidation, ils sont tous licenciés et ils sont pas trop contents ». Le gars est calme et compréhensif. Par association d’idées, je pense aux images de répressions lors des manifs contre les mégabassines en France, révélées récemment par Médiapart, qui m’ont choqué quatre jours plus tôt. Je me dis qu’il est difficile de fuir l’actualité. Je me dis que ces gens-là ne vont surement pas voyager tout de suite. Je me dis qu’on peut vite se retrouver sans emploi. Non ?
À 20h on atteint Orcines, petit village aux allures montagnardes sans grand intérêt si ce n’est sa situation au pied du Puy de Dôme. Logement rudimentaire. Parfait. On prépare nos sacs, on se nourrit de fromage fondu, on regarde l’itinéraire du lendemain qui annonce 28 km de pleine nature. On se dit que la vie est (quand même) belle.
Jour 2
6h45. Le réveil d’Alexi ressemble à une alarme d’alerte tsunami au Japon. Il me sort brutalement d’une nuit beaucoup trop courte. Il m’avait pourtant laissé le lit le plus confortable, mais les insomnies sont plus fortes que le confort. Trop excité par le programme que pour me plaindre, je quitte mon lit et me dirige vers la porte : « Je check vite le temps, voir si je mets mon short ou mon froc », préviens-je avant d’ouvrir face à son couchage. J’ouvre : vent puissant, pluie oblique, froid piquant. Pas le short, donc. Ils annonçaient en effet de la pluie avant midi, ça va nous réveiller.
7h30. Après avoir avalé le déjeuner le plus local de l’histoire (la proprio faisait son pain, son jus, son fromage, ses confitures…) on claque la porte pour s’engouffrer dans ce qui commence à s’apparenter à une micro-tempête. Direction le fameux Puy de Dôme, le plus haut volcan de la chaine des Puys culminant à 1465m (le plus haut d’Auvergne étant le Puy de Sancy à 1886m), et le sommet de notre weekend.

9h00. Nous gravissons pas à pas le chemin des Muletiers. Empruntée depuis l’Antiquité, cette voie de 6 km est la plus rapide pour arriver au sommet, et donc la plus raide. Nos vêtements dits techniques sont si trempés qu’ils commencent à nous coller à la peau. Nos mains sont engourdies par le froid, ce qui me fait penser… que je n’ai pas pensé aux gants. Plus on monte et plus la brume épaisse laisse entrevoir de petits sommets au gré du vent. Les arbres tordus ajoutent une ambiance mystique au décor. C’est beau, on s’extasie, on oublie le froid. On croise un randonneur d’une soixantaine d’années, l’air heureux, qui nous lance : « Je viens d’en haut, vous êtes les premières personnes à qui je dis bonjour ». Nous aussi, mais depuis le bas. À toi qui aimes éviter les foules : les randonnées d’automne sous la pluie et le vent ont cet avantage…
Mes chaussettes sont mouillées.


À présent ça grimpe bien. On prend 400 mètres sur 2 km, sans se lasser de la vue. Le décor change avec l’altitude, les arbres laissent place à une herbe jaunâtre semblable à celle des Fagnes, parsemée de rochers et de petits arbustes. Moins d’arbres, moins protégés du vent. Nos mains agrippées aux bâtons sont gelées. Nous arrivons en haut avec une seule idée en tête : nous réchauffer. Seul espace ouvert en cette saison, du moins ce jour-là, les toilettes. Jamais nous n’avons été aussi heureux en voyant un sèche-mains public. Coincés là depuis 15 minutes, une éclaircie vient stopper la pluie et faire tomber le vent en un instant. Magie? Non, montagne.
On quitte des toilettes pour gravir les marches qui mènent au sommet du cratère où se trouve un bâtiment imposant : le « Temple de Mercure ». N’ayant rien lu à ce sujet avant départ, mes premières impressions sont plutôt oniriques : j’y vois une station spatiale déposée sur des ruines incas. Un panneau explicatif me ramène à la réalité: « L’un des plus grands sanctuaires de montagne de l’Empire romain, construit au milieu du IIe siècle de notre ère : le temple de Mercure. »
(Le truc méritant à un article à lui seul, je vous laisse vous informer par ici si le sujet vous parle.)
La vision est dingue mais comme je photographie avec un 50mm (petit et léger), difficile de partager ça avec vous. J’ai bien peur que vous ne deviez le voir de vos propres yeux…


Ça traine sur le sommet et, entre temps, le soleil s’est mis à percer de partout. Les nuages disparaissent un à un et nous voilà pleinement conscients d’où nous sommes : dans un champ de volcans ! Depuis l’arête du cratère, tous nos rêves de paysages d’avant départ se matérialisent en un seul coup d’œil.

De là démarre la partie la plus incroyable du weekend. Nous descendons vers une sorte d’altiplano auvergnat* dans une solitude déroutante : hormis 3-4 trailers, il n’y a absolument personne.
Les teintes jaune-orange des herbes, le vert des épicéas et le sol ocre de la roche volcanique se fondent dans les résidus de nuages, sous une lumière rasante d’automne. Ces contrastes nous régalent. On traine le pas, on s’arrête, on profite. Et puisque raccrocher chaque impression nouvelle à quelque chose de connu est un réflexe humain, je me retrouve un instant en Bolivie autour du volcan Nevado Sajama, 15 ans plus tôt. Alexi, de son côté, se revoit approcher l’Elbrouz de sa Russie natale. On se raconte des souvenirs, on rêve. À quoi serviraient les grands voyages s’ils ne laissaient aucune trace en nous ?


*Deux images prises en 2010 dans le parc national Sajama, en Bolivie, où se trouve le volcan Nevado Sajama, point culminant du pays à 6542 mètres d’altitude.
Mais retournons en Auvergne.
À partir de là, nous allons marcher près de 2 heures dans ces décors, gravir d’autres dômes, arpenter leurs arêtes, profiter de points de vue colorés sur le bas de vallée…À l’exception des moutons qui pâturent à la belle saison à flancs de volcans, qui ont déjà été reconduits dans les villages en ce mois de novembre, absolument rien ne manque au tableau.



La suite de la journée sera consacrée à la descente jusqu’à notre logement, situé au mi-parcours de notre itinéraire. Sur la route des forêts de hêtres communs, des tapis de prêle du Japon dans les zones les plus humides, des murs secs (qui semblent être une marque de fabrique locale puisqu’il y en a dans tous les villages que nous avons traversés).
16h30. On arrive au gite, un bâtiment plain pied entouré par une forêt et composé de 5 mini-studios et de yourtes, tenu par un ex-apiculteur et sa fille. Il y a peu, Yvan, c’est son prénom, travaillait encore avec ses deux employés sur 800 ruches pour des essaims vendus dans toute la France, et produisait 12 tonnes de miel par an. Fatigué par 41 ans de métier, il a remis l’affaire à son équipe et profite de sa retraite en aidant sa progéniture à gérer son éco-lodge. Une histoire qui plaira aux entrepreneurs modernes. Nous prenons les clés, saluons ce monsieur et entrons. Déçus de ne pas voir un pot du fameux nectar trôner sur la table en guise de bienvenue, on se contente d’une barre de céréales en se remémorant cette excellente journée, déjà de l’ordre des souvenirs, avant de préparer notre riz indien lyophilisé.
Jour 3
Réveil sans pression.
Les radars annoncent de la pluie jusqu’à 9h, nos vêtements ont séché toute la nuit … Rien ne presse.
On avale un déjeuner moins local et moins fait-maison que la veille, puis on se met en mouvement.
Je m’étalerai moins sur cette journée. Déjà parce que c’est bien si vous avez tenu jusqu’ici (il parait qu’on ne lit plus les longs textes) ensuite parce que l’essence de ce que j’avais à partager a été dite.
Ce jour-là, notre parcours s’étale à nouveau sur environ 30 kilomètres faits de villages très similaire à ceux de nos Ardennes : vieille pierre, ruisseaux, forêts, pâtures, chemins de campagne…Avant de rejoindre un flanc de volcan (aux airs de forêt noire, si tu as la ref. La photo tout en haut de l’article a été prise à notre pause midi) et de boucler la boucle. Du familier donc ? Oui, mais pas totalement. Autour, le relief nous rappelle où nous sommes. Les dômes que l’on arpentait la veille ont des proportions gigantesques d’en bas. La tête dans la brume, le Puy de Dôme m’évoque…Le Mont Fuji.
Je sais, j’arrête (je n’y suis encore jamais allé).




Deux heures avant de quitter le massif central, un ami français qui vit à 1h30 de Clermont-Ferrand m’appelle (j’avais mis une photo de volcan en story la veille, il avait reconnu le spot) :
» T’es en Auvergne et tu m’as rien dit ?! Je peux venir dès lundi soir! »
« Je quitte fin de journée vieux, ça s’est improvisé on devait partir au Danemark ».
« Vous êtes allés au Puy de Sancy? ».
« Non, on faisait la boucle des dômes, c’était magnifique. Ça m’a rappelé la Bolivie » (on y a passé un bon moment ensemble).
« Ah ouai, je vois bien! Faudra revenir alors, le Puy de Sancy est superbe aussi, on l’appelle la petite Mongolie ». (…)
Plaines mongoles, Altiplano bolivien, Elbrouz Russe, Forêt noire, Ardennes…C’est dingue comme on peut s’évader loin à (seulement) 850km de chez soi. C’est fou qu’une destination en évoque tant d’autres. L’essence du voyage se trouve dans notre capacité à nous émerveiller! Basique. Mais cette pensée me rassure à chaque fois : l’aventure peut démarrer au coin de la rue.
Sur le retour nous calons une étape d’une nuit dans le Parc National de la Forêt d’Orient, dans l’Aube, pour observer les oiseaux migrateurs. Le matin, pas de réveil alarme tsunami, mais un bruit quelque peu familier qui nous sort du lit. On ouvre les rideaux et, depuis le balcon, des vagues de grues cendrées en formation défilent en direction du sud pendant plus de 20 minutes juste au dessus de nos têtes… Je m’arrête sur cette image (qui raconte beaucoup de choses) pour cette fois.

Et mais tu es toujours là ! Merci.
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La prochaine fois, on va rester tourné vers le ciel avec une histoire un complètement folle d’extraterrestre (enfin presque). Pour l’heure si tout ça te parle, enregistre mon site dans tes favoris ou abonne-toi à mon Instagram pour avoir un rappel du prochain article !
Tu peux aussi lire le premier article de ce blog si tu veux mieux comprendre ma démarche et parcourir le site pour découvrir mon travail.
A+
Jérémy
